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A bord du Darjeeling Limited

Attention, cette critique cherchant à rendre compte du film dans sa totalité, il est déconseillé de la lire si on ne l’a pas vu !

Un film de Wes Anderson
Avec Owen Wilson, Adrien Brody, Jason Schwartzman
Sortie le 19 mars 2008

La tristesse et l’ordinaire

La première partie du film, présentée sous la forme d’un court métrage à part, Hôtel Chevalier, fait office de prologue à la partie indienne de The darjeeling limited. D’abord mise à l’écart de la deuxième partie par un générique, elle se constitue rapidement comme morceau essentiel du long métrage tout entier, deux parties confondues. Hôtel Chevalier fait converger et cristallise la plupart des éléments du film, en tout cas ceux qui concernent le personnage de Jack. Placé tel qu’il est à la tête du wagon darjeeling – le film et le train – il met en route quantité de signes qui vont être répétés, amplifiés, déployés.

Ce qu’il concentre surtout c’est, sous sa loufoquerie apparente – bel et bien amusante – le point central et la force majeure du film : la mise à distance de l’émotion par un humour délicieux, humour du mécanique et de la manie, de l’incongru. Là où d’autres évacuent le sentimentalisme, le larmoyant et le romantisme par l’austérité, Wes Anderson choisit le loufoque, la délicate mise à distance par le rire, grâce à ses personnages inadaptés par essence.

C’est précisément l’écart cocasse de certaines situations qui amplifie la charge émotive du propos : la lourdeur des bleus à l’âme – ceux qu’on voit déjà sur le corps de la petite amie de Jack et le visage de Francis – est éclaboussée par l’humour, et c’est là qu’elle gagne en force. Sous le flegme des personnages perdus, couve l’arrière pays de la tristesse. Le désespoir d’un amour blessé, la peur d’être père, l’envie de mourir.

Le seul poids du film pèse précisément sur ses personnages. C’est le poids de la famille, d’une famille qui boite, qui en a fait des hommes cabossés. Le deuil de leur père qui n’est pas encore fait, le manque angoissant de leur mère devenue bonne sœur au pied de l’Himalaya planent à l’horizon. Ce qui se fait pesant, ce sont précisément les valises de leur père qu’ils trimballent partout où ils vont, objets envahissants qui les ralentissent dans leur marche en avant. Ces inadaptés le sont avant tout à cause de ce poids, parce qu’ils portent les marques de tout ce qui fait obstacle et les empêche : cicatrices, valises, lunettes, flacon de parfum, petit pot en terre, sacs de médicaments…

Visite guidée : règles, échos, relais

« Let’s make an agreement », ne cesse de répéter le personnage de Francis qui tente désespérément de reconstituer la fratrie dispatchée, de la faire marcher droit. C’est lui qui est à l’origine de ces retrouvailles, qui prépare la surprise de la rencontre avec leur mère, qui a choisi l’Inde pour tous les clichés qu’elle porte quant à la spiritualité. Avec les petits programmes plastifiés de son employé Brendan, sorte de chef d’orchestre qui reste dans l’ombre et l’isolement avec son « truc d’albinos », il veut porter le voyage dans des traces déjà dessinées à l’avance, connaissant ses frères comme sa poche, cherchant à les obliger pour enfin parvenir à faire converger leurs trajectoires.

C’est sans compter avec leur caractère à tous les trois. Inadaptés à la vie, ils le sont aussi à ce qui s’est prévu sans eux, se perdant dans le programme déjà défini de fond en comble comme un train sur ses rails. Bien trop à part, les trois frères abandonnent Brendan en même temps que le train, se livrant à eux-mêmes, à leur chaos intérieur – qui est finalement le seul moyen de retrouver leur unité, presque malgré eux. Derrière ce qu’on pourrait lire tout au long du film comme un symbolisme un peu facile se projette, grâce à la mise à distance de l’humour, la portée saisissante d’images qui ailleurs seraient dérisoires.

C’est par le redoublement maniaque de certaines chansons, certaines phrases, certains gestes, qui se répètent d’une scène à l’autre, d’un personnage à l’autre, qu’ils avancent sans en avoir l’air. Repassant sur leurs propres traces, faisant écho par la parole, par l’attitude, par l’écriture, à leur propre passé comme à celui du film, ils errent. Mais cette errance n’est pas infinie : c’est justement là que les personnages construisent puis préservent leur espace, cet espace où, à cent lieues des déterminations du petit programme plastifié et impossible à déchirer, peut s’accomplir la quête de soi et de l’unité fraternelle que sans le vouloir ou en le voulant trop, ils sont venus chercher.

Les échos ne sont pas répétitions mais passages de relais, d’un frère à l’autre, d’une mère à son fils, d’une scène passée à une scène présente où accomplir le rôle de chacun des personnages. Les passages de relais les plus clairs de The darjeeling limited, ce sont sans aucun doute ces courses répétées, courses au ralenti, marches en avant qui constituent un déboîtement dans la quête des personnage comme dans la temporalité du film. Courir pour rattraper un train, seul puis à plusieurs, marcher vers un enterrement qui en rappelle un précédent ; et enfin, courir tous ensemble pour se délester du poids du désespoir et de la tristesse dans cette très belle scène qui clôt presque le film. Marcher en avant, basculer progressivement, n’être plus fils mais enfin frères, hommes, amis.

Deux sans trois : espace bancal

Toutefois l’unité n’est pas facile à obtenir dans l’espace du film, car elle laisse toujours un des trois frères à l’écart. Non pas toujours le même, mais l’un après l’autre, ils y passent tous. Francis, Jack et Peter ne sont pas trois mais deux plus un. Un laissé de côté : hors de la pièce, hors des cachotteries, hors du cadre. Derrière la symétrie apparente de bon nombre de plans se dissimule l’espace bancal de la fratrie.

Avec ce trop difficile chiffre qu’est le trois, Wes Anderson fait balancer son film pendant sa plus grande partie. Balancement d’un isolé à l’autre dans ce qui est, sous une facilité apparente, le plus dur à obtenir : l’entente de trois personnes réunies dès le départ par les liens familiaux. C’est la forme qui résiste à leur équilibre, laissant toujours dans le cadre un personnage en décalage avec ses frères.

« I didn’t save mine », annonce, décomposé, Peter après l’accident de la rivière. Ceci n’est qu’un exemple de ce qui vient briser l’unité fraternelle. Mais en fin de compte, c’est précisément dans ce décalage que va se retrouver la cohésion des trois frères, comme faite d’éléments disparates collés bout à bout. Non pas parce qu’il serait question de faire du petit enfant mort un objet au service de leur réconciliation, mais parce que, comme un accident de la vie, cet épisode rapproche les trois frères en rendant leur tristesse plus nette encore. A la scène de l’enterrement fait écho celle d’un enterrement passé, celui de leur père – flash back – ; et enfin, quittant le village en bus, Jack et Peter se sourient, réussissent presque à intégrer Francis à leurs regards, quoiqu’ils soient encore trop maladroits.

Union de famille : la marche en avant

C’est en effet par les regards que va se construire l’équilibre. Leurs mots sont déjà sortis, par exemple lors de cette scène où Francis et Jack, se battant, se répètent qu’ils s’aiment, et sont aspergés de gaz lacrymogène par leur frère, qui les aime aussi.

Là où les mots ne font pas suffisamment avancer, l’image va changer la donne. Après la scène de la moto – dans laquelle ils sont enfin, tous les droits, alignés, regardant dans la même direction – vient celle de la course libératrice, puis de ce moment délicieux où tous les trois, à l’arrière de leur nouveau train, ont le même regard, la même expression, et prennent enfin leur envol.

L’image des nouvelles écrites par Jack est l’emblème le plus amusant et le plus beau à la fois de leur libération – plus encore que les bagages dont ils se débarrassent. La première nouvelle est racontée par bribes, moquée par Peter qui se cache pour pleurer ; et ensuite seulement, on a accès à la scène qui l’a motivée, tirée du passé des trois frères. La deuxième en revanche, ou plutôt ce morceau de nouvelle qui n’est qu’une fin, reprend une scène à laquelle le spectateur a déjà eu accès – celle du court métrage. Ce que le spectateur a vu, ce que le spectateur sait déjà, il n’est plus possible d’en nier la réalité. Plus besoin de mentir, plus besoin de se cacher : la phrase de Jack, supposée réaffirmer le caractère fictif de ses personnages, reste en suspens.

La dernière scène du film ne fait que reprendre des éléments déjà vus. Mais cette fois-ci, les trois frères ne jouent plus la comédie de la manie : ils anticipent, s’accomplissant dans ces gestes déjà vus, dans ces phrases déjà énoncées plus tôt dans le film. Alors ils deviennent enfin capables de se faire eux-mêmes. La petite mélodie que le personnage de Natalie Portman et la mère des trois hommes avaient jouée avec un sourire aux deux bornes du film résonne avec le générique de fin.


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

8
Avatar de Cory
22 avril 2008 à 01h04
Cory
Bon, c'est décidé, j'emmène ma soeur le voir avec moi dès le début des vacances. Y a que moi que la bande-annonce avait enthousiasmée, mais s'pas grave, j'suis sûre qu'elle et moi on ne sera pas déçues.

Ayé
0
Voir les 8 commentaires

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